Cher corps - Enfance -

Publié le par francois.ihuel15.over-blog.fr

 

Si la vie c'est l'apprentissage de l'école, l'école est aussi l'apprentissage de la vie.

Esprit es tu là !

Cher corps - Enfance -

Esprit à l'étroit large d'esprit.

Ce petit garçon, que j'ai investi, se montre de plus en plus turbulent, il assiste à des changements de fonctionnement que peu de temps avant on aurait cru immuables.

Il faut bien dire que depuis 1935 les choses ont stagné, l'entre deux guerres n'a pas permis d'évoluer beaucoup, les mêmes écoles, les mêmes classes, les mêmes pupitres doubles. Il faut dire que l'occupation occupait les occupants et les occupés, les occupations des uns n'étant pas compatibles aux occupations des autres s'occuper d'autres occupations, comme faire évoluer l'école, est passé au second plan, voire même plus en arrière, personne ne s'en est occupé.

Arrivent alors les nouveaux pupitres, ils sont plus fragiles, plus clairs aussi, il y a toujours la place pour l'encrier, la rainure pour les crayons s'est rétrécie, fini la rigole dans laquelle on y mettait parfois de l'encre, l'encrier si judicieusement placé en bout de cette rigole, prêt à se déverser dans cette dernière comme le métal fondu sortant du creuset dans les fonderies. Le stylo bille n'est pas encore connu, et puis ces pupitres sont individuels.

Un magnifique cadre métallique pour y glisser le cartable de cuir, juste se demander si ceux qui l'ont conçu savaient que dans un cartable on y met des cahiers, des livres, un plumier, le chiffon et les craies d'ailleurs souvent en vrac et en piteux état, et parfois d'autres choses nettement moins pédagogiques, le cartable seul et vide rentre aisément, avec les cahiers ça se complique, dès qu'il y a les livres ça ne rentre plus, alors comme à l'ancienne ces maudis cartables trainent dans les allées entre pupitres, ce qui fait tomber certains et fait monter la pression.

Et puis fini les petites complicités entre garçons turbulents - savoir qu'à ces époques les classes n'étaient pas mixtes, du moins en laïque - copier devient plus difficile, se passer des petits mots aussi, se chatouiller pour se faire remarquer et parfois se chamailler sans même savoir pourquoi, voire, dès dix ans, regarder si anatomiquement on est bien identique, on dit aussi touche pipi de gamin. Pour graver le pupitre c'est sévèrement réprimé, la mansuétude, qui acceptait quelques écarts sur les pupitres datant du début du siècle, c'est terminé.

Bien entendu, le garçon que j'habite, ayant un peu grandi - il est maintenant en CE2 - trouve un malin plaisir à faire le contraire de ce qu'on lui dit, ces nouveaux éléments qu'on lui a confié avec fortes recommandations de soins, à grands frais et en grevant un budget déjà bien difficile, ne lui paraissent pas d'une réelle utilité pour ce dont à quoi ils seraient destinés, un compas pour faire des ronds c'est bête, un verre, un bol, un saladier font l'affaire même si le diamètre ne change qu'à chaque objet.

Il y a aussi la boite à éponge de l'ardoise mais c'est pareil, le diamètre ne change pas, ça ne plait pas au maitre, pourtant un rond reste un rond, quand bien sûr on parvient à faire le tour avec le crayon sans que ce dernier n'ait la fantaisie de quitter le contact, avec le petit pot de colle c'est encore pire, plus le diamètre est petit et moins le crayon suit.

Par contre, cette pointe, bien plus solide qu'une plume Sergent Major, est d'une redoutable efficacité, la fine couche de vernis de ce pupitre tout neuf n'y résiste pas. A l'origine ce fut un accident, le compas qui sort du cahier, il faut dire qu'il n'y a pas de mode d'emploi, il ne suffit que de regarder faire les autres, juste déterminer quels autres, et puis novice, savoir si c'est la mine ou la pointe qu'il faut enfoncer dans la feuille de ce cahier, ça ne parait pas comme ça mais si jeune ce n'est pas encore une évidence.

Trublion déjà réfractaire l'exemple choisi n'est pas du mieux induit, parmi tous ces studieux élèves il s'en trouvent du même caractère, les accointances ayant tendance à se rejoindre c'est donc à plusieurs cancres qu'on s'échangent les conneries, c'est bien plus facile à imiter que les fastidieuses recommandations du maitre qui s'irrite de nos bavardages.

Ce que voyant, mon compas n'ayant pas le siens dans l'oeil, sort du cahier, érafle le vernis de ce mobilier neuf en y laissant un petit dommage. Oh, pas grand chose, juste une petite rayure, trop petite justement, il faut l'agrandir. Mon voisin du devant, pas plus malin que ce garçon que j'habite, a, semblerait-il, eut le même incident. Coïncidence ou complicité ?

Mais lui, plus érudit parce que plus vieux aussi, d'au moins deux ou trois mois, ce qui à nos âges est considéré comme une différence de poids, se demande si en appuyant un peu, sur cette pointe acérée décidément bien plus solide que la plume, il ne parviendrait pas à tracer un beau cercle non pas sur le cahier mais sur le pupitre, une surface de cette solidité pouvant conserver plus longtemps un ouvrage d'une telle importance.

Ce que voyant, aimant aussi doubler la mise, ce garçon que j'habite et qui ne m'obéit plus trouve un malin plaisir à en tracer une deuxième, le souvenir des mollets marqués par le martinet n'ayant pas assez de pouvoir pour limiter les oeuvres d'art de pupitre d'une telle importance. Et puis sur les anciens pupitres, tout était permis, ou presque. Sauf que les précédents on les frottait au papier de verre avec verve vers fin juin, pour tenter de réduire les monstruosités enfantines accumulées depuis des années, chacun voulant laisser, pour la postérité, la trace de son passage. 

Là, plus question de cire d'abeille, la boite ronde et jaune, qui sent si bon la cire des meubles, n'est plus de mise, le vernis de notre pupitre résistant nettement moins que le bois de sapin si facile à creuser, à frotter et à cirer.

Cette deuxième ligne, que mon garçon grave, à côté de l'accidentelle première, ne semble pas à sa convenance, les parallèles n'y sont pas, il faut revenir sur l'ouvrage, la redresser, lui donner de la longueur, l'élargir pour compenser ces "virages", le résultat est prometteur mais voilà, la première ligne, accidentelle, elle, n'est plus à la hauteur, sa finesse dépareille, là ça ne va pas, un équilibre bien consenti doit être symétrique. 

Alors, ce miraculeux compas, plus utile à ces travaux manuels qu'à leur faire faire bêtement un tour sur une feuille, qui d'ailleurs se déchire ne sachant pas toujours qu'une mine ça se casse - ou ne s'en étant pas rendu compte, si jeune - se comporte de façon bien complice, le voilà qu'il dévie l'enfant de son assiduité, il le force à accomplir, contre son gré, une bien étrange affaire, celle de reprendre la ligne accidentelle pour en faire une ressemblant plus à la seconde.

Cette pointe acérée, de plus en plus complice et de moins en moins docile, prouve au garçon que je suis qu'en appuyant un peu on arrivera à un bel ouvrage, deux belles lignes bien gravées laissant vagabonder l'esprit du côté des voies de chemin de fer qu'on voit au sortir de l'école.

Ah mais non ! Des rails sans traverses ça ne le fait pas ! Il faut qu'ils soient solidaires, les traverses de chemin de fer vont bien faire l'affaire. Alors, de cette pointe si docile et solide, on uni les deux rails par des creusements de traverses pour qu'ils soient réussis et solidaires.

Ce que voyant, le maitre rouge de colère, se précipite sur le compas, le retire de cet ouvrage et, au lieu de le punir, s'en prend à l'enfant innocent. Ce dernier, ne comprenant pas que d'une année à l'autre les choses ont changé, se voit réunir ses doigts afin de vérifier si la règle du maitre résistera longtemps aux petits coups saccadés qu'ils encaissent.

Le bout des doigts de jeune enfant, n'ayant pas la résistance du nouveau matériel, en deviennent rapidement douloureux, de quoi décourager le compas de s'y frotter à nouveau. Ce dernier, gisant au sol, semble d'ailleurs devenu soudain inerte. Serait-ce que pour tracer une voie de chemin de fer il faut la combinaison des deux ?

Les doigts douloureux, n'ayant plus trop envie de partager de nouveau cet ouvrage ferroviaire, se demande si les mollets, qui se rappellent soudain à lui, ne vont pas cuire un peu dans la soirée, le maitre ayant écrit un petit mot gentil à mes parent afin de leur faire part de mon génie civil.

       

Cher corps - Enfance -

Un diable de petit ange.

Considérant que Dieu a créé le diable il y a aussi des anges diables ou des diables d'anges, ce qui me convient assez, juste savoir si la bonté résulte à rendre service en partageant les conneries, ce qui inévitablement apporte quelques inconvénients à ceux qui acceptent mon partage.

Pourtant, un petit diable étant toujours vu comme une créature angélique - logique - il faut donc considérer qu'un partage de conneries relève d'une grande bonté, cette vertu m'étant induite naturellement (tant pis pour mes chevilles) je m'en voudrais de faire montre d'égoïsme.

Bien entendu, si je pouvais aussi partager les conséquences de mes bontés, c'est à dire l'assouplissement de plus en plus fréquent des poils de martinet, j'en serais fort aise, sauf que ce qu'on partage physiquement on n'en fait pas toujours profiter aux autres et puis je remarque de plus en plus que de partager l'abstrait n'en change pas la quantité, contrairement au concret, ce qui fait que quand je n'ai plus rien à partager, billes et autres accessoires enfantins, j'ai toujours la même dose de dommages.

Cet apprentissage des souffrances permet donc à mon esprit d'accepter ce que la nature m'a donné, l'instabilité chronique, la rebellion, l'insolence, la vindicte et autres dont je passerai la liste, ça risque de prendre du temps. Si j'avais du acheter mon bagage héréditaire et génétique je n'aurai certainement pas tout pris, je pense que j'aurai acquis ce que j'ai déjà mais en délaissant quand même quelques inconvénients, dont un, ma rebellion chronique qui me vaut les foudres de mon entourage.  

Commençant aussi à collectionner les petits bobos j'inflige à mon corps des sévices involontaires, même si ma nature les provoque, ce petit corps a déjà eut quelques souffrances, dues à la nature exclusivement d'ailleurs, le premier c'est le découpage d'une petite peau dite gênante au bout de la zézette, on dit "phimosis" qui semble d'utilité douteuse, je ne suis pas médecin, mais comme on ne m'a pas demandé mon avis et que dans les années 1950 on était médicalement encore un peu en  retard, je n'en veux pas à mes parents d'avoir utilisé cet expédient.

Le second, un peu plus tard, c'est l'ablation des amygdales, du moins c'est ce qui se disait à l'époque, en fait une intervention chirurgicale consistant à dégager les végétations, peut-être que mes ronflements d'enfant ont alerté mes parents, de la même façon qu'on considérait le décalottage on prenait aussi très au sérieux l'obstruction nasale. 

On disait "opérer des amygdales", n'étant pas médecin, mes connaissances anatomiques étant très limitées, je ne rentrerai pas dans le sujet, je constate seulement que plusieurs dizaines d'années après le résultat est douteux, les ronflements ayant depuis longtemps repris je me demande si d'arroser la végétation ne la fait pas repousser, mes périodes de beuveries excessives d'un temps en seraient responsables, le houblon dans la glotte serait donc dangereux, ce dernier faisant partie d'une autre forme de végétation je m'y perd un peu.

Si je ne me rappelle pas avoir eu un coup de ciseau sur le bout de la quéquette je me rappelle très bien de ces végétations, d'une part l'anesthésie avec un gaz ressemblant furieusement à l'éther et les douleurs de la gorge occasionnées, le seul bon souvenir ce sont les glaces qui m'ont été données, puisqu'il parait que pour cicatriser plus vite il faut mettre de la glace. Bien évidemment ce n'était pas les bonnes crèmes glacées de maintenant, juste des bâtons d'eau au sirop, gelés. Je garde de l'anesthésie une profonde répulsion à l'éther.

Puis, dans cette petite enfance turbulente, les chutes qui occasionnent des plaies diverses, surtout aux genoux et aux coudes, les mains n'y échappent pas mais c'est là que je salue le miracle de la nature qui est de pouvoir réparer à l'identique - ou presque - ces dommages externes. De la même façon un énorme clou m'a transpercé le pied de part en part alors que j'avais six ans, mes petites chaussures n'ayant pas le pouvoir de stopper un clou de chevron qui dépasse largement d'une planche, ce, dans ces terrains vagues où nous étions toujours fourrés. 

Pour suivre, à la caserne, pendant une "bagarre" de mômes, je me suis malencontreusement trouvé sur la trajectoire d'une poignée de sable en voyage vers un autre destinataire qui, lui, le savait, résultat, infirmerie de la caserne, médecin militaire de service qui a fait ce qu'il a pu, depuis cette époque j'ai ce petit défaut visuel et quelques petites taches sombres absolument indélébiles.

Moi, esprit pourtant avisé par mes précédentes vies certainement très agitées aussi, je me retrouve, en des époques modernes, à supporter un corps d'enfant qui semble ne rien envier aux sévices des siècles passés, mais mon subconscient, remplaçant mes mémoires précédentes, me dit qu'effectivement j'en ai vu de toutes les couleurs en ces époques lointaines.                

Mais il est tard déjà, la suite dans quelques jours ou demain, ça dépendra.

Bonne soirée à tous.

 

Publié dans Vie privée

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